Le célèbre marché aux poissons de Tokyo a définitivement fermé ses portes.
Il était temps : installé depuis 1935 – après le grand tremblement de terre de 1923 qui avait détruit celui du centre-ville à Nihonbashi – le marché aux poissons de Tsukiji frappait par sa vétusté. Mais comme le « ventre de Paris » en son temps, c’est toute une époque, une vie, une atmosphère qui disparaissent au profit de locaux, certes propres, rationnels et mieux adaptés, mais qui auront perdu leur âme diront sûrement ses commerçants comme ses visiteurs.
Pour l’avoir visité, le marché de gros de Tsukiji, son quartier de poissonniers, d’échoppes d’articles de vaisselle et de cuisine, ses restaurants ouverts dès le matin, dégageait un charme sans pareil. Ce fut comme pour beaucoup, ma première visite à mon arrivée à Tokyo. Le marché même, il fallait s’y rendre dès avant l’aube pour assister à la criée au thon. On pouvait déambuler dans les allées étroites et souvent glissantes, sous le regard des marchands un peu fâchés d’être dérangés par notre intrusion. Ils étaient en train de débiter à la scie électrique ou avec d’immenses couteaux à deux manches, d’énormes quartiers de thon ou d’entretenir d’innombrables viviers, de coquillages ou de poissons tous plus exotiques les uns que les autres. Les ampoules nues en guirlandes longeaient les stands enchevêtrés de chaque maison commerciale, agglutinées les unes aux autres dans ce qui semblait un gigantesque capharnaüm, bien mal adapté semblait-il aux conditions nécessaires de conservation d’une marchandise si fragile.
Dès le 11 octobre, le nouveau site de Toyosu entrera en service à moins de 2,5 km de là. Enclos, et, comme Rungis, dédié uniquement au commerce de gros, tandis que restaurants et autres petits fournisseurs et détaillants resteront pour la plupart dans le quartier situé à l’extrémité de Ginza, une des avenues les plus chics et les plus chères de la capitale.
A Tsukiji près de 2000 tonnes de poissons et crustacés sont échangés chaque jour, soit un quart du commerce des marchés de gros de tout le pays. Il abrite plus de 60 000 personnes.
Le Japon premier producteur mondial dans les années 80, occupe désormais le 8ème rang mondial : il pêche 3,9 millions de tonnes, en importe 4,4 millions de tonnes et en exporte environ 530 000 tonnes[1]. La production totale atteint plus de 12 milliards de dollars, et employait près 160 000 pêcheurs en 2015).
Mais il reste de loin le premier consommateur du monde. La consommation par habitant, certes en recul, atteignait encore 27,3 kg par personne et par an, contre seulement 15kg pour les scandinaves. Les changements d’habitudes alimentaires au profit de la viande pour les plus jeunes et le vieillissement de la population expliquent ce déclin. En revanche, la demande globale continue de progresser et l’attrait pour le poisson augmente dans d’autres pays. Selon le rapport du ministère de l’agriculture, la demande domestique de poissons aurait reculé de 22% entre 2006 et 2016[2]. Entre 2003 et 2013, la demande mondiale aurait crû de 30%. Dans ce contexte, le Japon entend développer une politique d’exportation de ses produits agricoles et de pêche tout en maintenant une autosuffisance forte. Le défi est de taille car les campagnes comme les ports de pêche sont délaissés par une population vieillissante qui ne trouve guère de remplaçants. La proportion de personnes âgées dans le secteur de la pêche est de 10% supérieure à sa proportion dans la population totale du Japon (36,3% contre 26,7% en 2015[3]).
Sept ans après la catastrophe de Fukushima en 2011, un nombre croissant de pays – dont l’UE – lève tout ou partie des restrictions aux importations de produits agricoles et issus de la pêche provenant du Japon. Les accords Trans pacifiques, signés entre 11 pays de la région – y compris le Japon – prévoient des accords spécifiques sur la pêche et notamment des procédures de management communes afin de limiter les surcapacités qui aboutissent à la surexploitation.
La cuisine japonaise rencontrant toujours plus d’adeptes, le marché de Tsukiji, même relogé à Toyosu, devrait sûrement connaître le même engouement qu’auparavant.
[1] Source FAO 2018 – http://www.fao.org/fishery/facp/JPN/en
[2] Source ministère japonais de l’agriculture, rapport annuel 2017 – http://www.maff.go.jp/e/data/publish/attach/pdf/index-93.pdf
[3] Source : Ministère de l’agriculture, livre blanc sur la pêche 2016 – http://www.maff.go.jp/e/data/publish/attach/pdf/index-40.pdf
La preuve formelle que Valérie Plagnol est une experte des “marchés” !
https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/a-tokyo-les-poissons-changent-de-marche_2956961.html#xtor=CS2-765-%5Bfacebook%5D-